Noirs quarts d'heure

de et par Béatrice Renard

Dans nos contrées belges et du Nord de la France, au moment où le soleil se couche, tard en été, tôt en hiver, il est un temps comme en suspens. Un « noir quart d’heure » entre la journée de travail et le repos de la nuit, entre l’agitation et la quiétude, entre les attentions pour les autres et le repli sur soi. Un moment pour rien, le temps s’arrête. Un moment pour tout, ici se révèlent les petites histoires.

L’été, « entre chien et loup », nous sortons les chaises devant la maison. Elles accueilleront des amis, des voisins mais aussi des inconnus qui, rentrant du travail ou juste de passage, viendront « raconter l’ compte ». La chaise… pour s’asseoir, accueillir, pour grimper, s’appuyer, peut aussi devenir absence.

L’hiver, impossible de s’installer sur le trottoir, aussi, nous tirons le rideau et installons des chaises devant la petite fenêtre à rue. Les piétons, les cyclistes passent rapidement. Parfois, nous devons frapper au carreau pour les ralentir et les inviter à « venir dire bonsoir », à venir boire « une petite goutte ».

En trois tableaux, Béatrice fait parler une grand-mère, une petite fille, une femme adulte en ce quart d’heure de prédilection.

1965, Emilienne, ma grand-mère. Elle est veuve, pourtant, elle a continué à sortir la chaise de mon grand-père devant la façade. Mais une autre chaise est toujours prête à accueillir le passant. Cette fois, c’est Albert qui dépose son vélo et vient partager le « noir quart d’heure ».

S’engage un monologue à propos de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, de ragots, d’un modus vivendi d’un temps révolu.

Tant de bavardages pour retenir Albert, pour tromper sa solitude.

1965, j’ai dix ans. Dans une demi-heure, je grimperai sur une chaise pour tourner le bouton électrique blanc. Mais pour l’instant, nous n’y voyons plus grand-chose. Maman termine de passer le balai, papa est rentré du potager, et moi, je sors nos chaises habituelles et celles réservées à nos amis Louis et Ginette. Ce soir, ils tardent à arriver.

2002, les temps ont changé, la maison a détourné nos regards de la rue vers le jardin, les médias et le téléphone ont remplacé les voix des passants. Au moment où le soleil se couche, la petite fille devenue adulte se raccroche au téléphone pour raconter ses cinq dernières journées.

Distribution
Béatrice Renard : Auteure et actrice
Kevin Defossez: Metteur en scène
Charles.be: Régie